Le chemin des Huguenots
Photo : Sergey Gricanov de Pixabay

Le chemin des Huguenots

Le chemin des huguenots symbolise un fait historique : le 18 octobre 1685 Louis XIV interdit le protestantisme en France. Les protestants connus sous le nom de Huguenots doivent se convertir au catholicisme ou s’enfuir. Il s’ensuit un énorme exode pour l’époque. Par exemple, à un moment, Genève devait accueillir une centaine de personnes par jours ... alors qu'il y avait, à l'époque environ 15 000 habitants ! La population aurait doublée en 6 mois si une grande partie des huguenots n'avait été accompagnés vers le reste de la Suisse et l'Europe du nord.

Pour commencer


De mon point de vue nous avons un exemple de gestion exemplaire de l’immigration. Les protestants étaient accueillis mais une grande partie ne pouvaient pas rester. Alors, surtout sous la conduite des bernois, ces réfugiés étaient guidés vers des contrées où ils pouvaient s’installer plus au nord, surtout en Allemagne. Mais certains de ces huguenots ont été accueillis en Suisse et s’y sont définitivement installés. Il y a donc eu accueil et accompagnement d’une part, et d’autre part intégration. C’était, de mon point de vue, une réussite.

Bien sûr deux éléments ont facilité cette réussite. D’abord, il y avait des terres au-delà de la Suisse pour accueillir les huguenots. Certains villages en Allemagne avaient en effet été dévastés par les guerres et les épidémies. Ensuite les huguenots emmenaient avec eux leur savoir-faire. Ceux qui émigraient avaient à cœur de mettre leurs compétences au service des lieux où ils étaient accueillis. C’était déjà le cas avant 1685. La Famille Lecoultre s’est réfugié à Genève en 1558 puis ils ont acheté des terres dans la vallée de Joux en 1559. Elles n’étaient pas chères ! Mais les Lecoultre avaient l’esprit d’entreprise et ils ont développés la vie économique du village du Sentier. Plus tard ils s’associeront avec la famille Jaeger … Quand vous êtes sauvée par une société qui vous accueille vous avez tendance à être reconnaissants et à vous mettre à son service. Mais le gros des huguenots arrive après 1685.

Traverser la Suisse

Un sentier balisé va de Chancy (Ge) jusqu'à Bartzheim (Sh). Il vient du sud de la France (Mérindol) au centre de l'Allemangne (Bad Karlshafen). Des tables d'orientation seront disposés le long du sentier. Chacune contient un texte de présentation général de ce chemin et valorise des huguenots ayant aidé au développement de ce lieu. La première a été inauguré à Payerne le lundi 5 mai.

Pour le site de la via huguenot cliquer ici

Elle mentionne l'action de Jean-Pierre de Trey car il a vécu entre 1642 et 1710, donc justement pendant la période de l’exode des huguenots ! C’est une figure marquante de la ville. Il est apothicaire, conseiller municipal et c’est un intellectuel engagé. En 1674, il est nommé superintendant des poids et mesures, puis accède au poste de gouverneur de la ville en 1698–1699. Il siège également au Conseil municipal.

Jean Pierre de Trey se distingue par son engagement humanitaire, notamment en accueillant plusieurs familles de réfugiés huguenots. Grâce à lui des huguenots ont trouvé refuge ici à Payerne. Il laisse une œuvre manuscrite importante, comprenant notamment un traité sur les institutions politiques de Payerne. Sa bibliothèque personnelle comptait environ 500 ouvrages couvrant des domaines variés tels que la théologie, l’histoire, la médecine et la pharmacopée.

Ses descendants perpétuent la tradition familiale en devenant pasteurs, médecins et chirurgiens. Jean Pierre de Trey incarne la figure du notable éclairé de son époque, alliant compétences scientifiques, engagement civique et ouverture aux autres. Et surtout il est emblématique de cette volonté suisse d’accueillir les huguenots

nous avons un exemple de gestion exemplaire de l’immigration.

Notre table mentionne également Isaac de Trey, sous-préfet de Payerne, député au Grand Conseil vaudois, puis Conseiller d'État. Quand à Frédéric de Trey (1735-1804), il fonde une fabrique d'indiennes à Berne. Il a sans doute bénéficié des compétences des Huguenots dans le domaine de la fabrication de ces tissus. Nous citons aussi Émile de Trey (1846-1898), médecin-dentiste à Bâle. Il invente des techniques dentaires commercialisées à Philadelphie, Londres et Zurich. Je signale également le nom des Rapins. Au moins une des branches est d’origine huguenote et il est possible que la peintre Aimée Rapin soit une descendante des huguenots.

Le chemin qui va de Morges à Berne passait par Payerne mais nous avons une variante passant par Neuchâtel. En fait cette voie a été rapidement saturée et les bernois ont créé un itinéraire bis par Neuchâtel. Il me semble qu’au bout du compte il y a eu plus de huguenots ayant passé par Neuchâtel.

Voilà pour l’histoire locale. Voici maintenant quelques réflexions sur des caractéristiques huguenotes emblématiques. Elles dépassent de loin la simple histoire. Quand les Huguenots arrivèrent dans leur pays d’accueil, souvent en Suisse, en Allemagne, aux Pays-Bas ou en Angleterre, ils n’étaient plus des fugitifs errants. Après des mois, parfois des années d’exil, ils posaient enfin le pied sur une terre où ils pouvaient vivre et croire librement. Mais il leur fallait tout reconstruire : une maison, un travail, une communauté. Ils n’étaient pas seulement des exilés, mais aussi des bâtisseurs.

Le pain : l’art du boulanger huguenot

Parmi les savoir-faire qu’ils apportèrent avec eux, la boulangerie occupait une place essentielle. Héritiers d’une tradition artisanale riche, les Huguenots excellaient dans l’art de faire du pain, nourrissant non seulement leurs familles mais aussi leurs nouvelles patries. En Allemagne, en particulier, ils introduisirent des techniques de panification plus fines, enrichissant les variétés de pains locaux.

Le pain était plus qu’une simple subsistance : il était un symbole de partage et de solidarité. Dans bien des villes où ils s’installèrent, ils ouvrirent des boulangeries qui devinrent rapidement des lieux de rencontre et d’échange. La farine et l’eau, mêlées par leurs mains habiles, devenaient du pain, comme une promesse de renaissance. Chaque fournée était un acte de foi, un rappel que la Providence ne les abandonnait pas.

L’école : transmettre, pour ne pas disparaître

Très vite, les Huguenots comprirent que s’ils voulaient assurer l’avenir de leurs enfants et préserver leur identité, l’éducation devait être une priorité. Dès qu’ils s’établissaient dans une ville ou un village, ils fondaient des écoles. Contrairement à certaines populations locales où l’instruction restait un privilège, eux la considéraient comme un droit et un devoir.

Les enfants apprenaient à lire et à écrire, non seulement pour maîtriser les métiers de demain, mais surtout pour pouvoir lire la Bible. Afin que chacun chacune soit capable d’approcher les Écritures par lui-même, elle-même. La langue française, langue de leur exil, devint ainsi un lien puissant qui les unissait, et de nombreuses écoles huguenotes restèrent francophones pendant plusieurs générations.

Pain, école, église : voilà les trois piliers sur lesquels les Huguenots ont reconstruit leur vie

Leur discipline et leur rigueur attirèrent souvent les regards admiratifs des autorités locales, qui virent dans ces écoles une source de progrès et d’innovation. Grâce à leur engagement, certaines régions de Prusse ou de Brandebourg bénéficièrent d’un essor intellectuel remarquable.

L’église : un refuge et une lumière

Mais s’il y avait un lieu qui symbolisait leur renaissance, c’était bien l’église. Souvent, ils commencèrent par se réunir dans des maisons, priant en secret ou à voix basse comme ils l’avaient fait en France. Puis, au fil du temps, les premières églises réformées furent bâties, simples mais solides, à l’image de leur foi.

L’église n’était pas seulement un lieu de culte. Elle était aussi le cœur battant de la communauté. On s’y retrouvait pour chanter des psaumes, écouter la prédication, mais aussi pour organiser l’entraide. Les anciens visitaient les malades, soutenaient les veuves et les orphelins. On y trouvait des listes de métiers et d’opportunités de travail pour les nouveaux arrivants. Elle était un phare pour ceux qui, après avoir tout perdu, cherchaient à se reconstruire.

Avec le temps, ces églises s’intégrèrent dans leurs pays d’accueil tout en conservant leur caractère huguenot. Certaines furent absorbées dans les églises locales, d’autres subsistèrent sous forme de paroisses réformées francophones pendant plusieurs siècles. Mais partout, elles portaient le témoignage d’une foi qui avait traversé les épreuves et trouvé une nouvelle terre où s’enraciner.

Mais encore

Pain, école, église : voilà les trois piliers sur lesquels les Huguenots ont reconstruit leur vie. Ils n’étaient pas seulement des réfugiés, mais des acteurs du renouveau des terres qui les avaient accueillis. Par leur travail, leur soif de savoir et leur foi profonde, ils ont contribué au développement économique, intellectuel et spirituel de leur pays d’adoption.

Leur histoire nous rappelle que l’exil, aussi douloureux soit-il, peut devenir un chemin de fécondité. Là où ils auraient pu se laisser abattre par l’épreuve, ils ont semé des graines qui, aujourd’hui encore, portent du fruit. Leur mémoire est vivante, inscrite dans les rues de Berlin, de Genève, de Londres ou d’Amsterdam, où les noms huguenots résonnent encore comme un héritage de courage et de persévérance.

Pour ma part je vois dans cette trinité pain école église une trinité reflétant une conception complète de l’humain. L’humain a une dimension corporelle à nourrir, une dimension cérébrale à développer et une dimension spirituelle à faire vivre.