... pas à cause de nous.
Dans les évangiles, Jésus a parlé plusieurs fois de sa mort. Il a conscience de son destin. Cependant la vraie question n’est pas là. Car, dans la société de l’époque, la fin de l’histoire de Jésus est logique. Les romains n’ont laissé aucun individu faire tout ce cirque, si vous me permettez une expression de notre époque ! Les romains crucifiaient tous ceux qui se comportaient comme Jésus. Alors pourquoi Jésus est-il allé jusqu’au bout malgré tout ce qui l’attendait ? Autrement dit : pourquoi est-il allé jusqu’à mourir pour nous ? Il s’est littéralement sacrifié pour nous.
Je vais aborder d’abord l’origine de l’idée disant que Jésus est mort à cause de nous.
Ensuite je vais me demander pourquoi Dieu aurait-il sacrifié son fils ?
Puis je m’émerveillerai car Dieu est venu vivre avec nous.
C’est ce qui dit l’apôtre Paul lorsqu’il écrit aux chrétiens de Corinthe Jésus est mort pour tous.
2 Corinthiens 5.14 à 19
Lorsque j’étais ados j’ai entendu un reportage à la radio sur une situation tragique, je ne sais plus où, c’était dans un endroit où la faim sévissait. Je ne me rappelle plus de quoi il s’agissait je me souviens simplement d’une phrase qui m’avais profondément émue, le reporter à dit : j’ai vu des mères déjà amaigries par la faim donner à leur enfant les quelques pommes de terre qui leurs restaient.
Sans aller aussi loin dans la tragédie, il est courant que des parents se sacrifient pour leur enfant. Mais ce n’est pas parce que leurs enfants seraient coupable. C’est parce que les parents veulent faire le maximum pour leurs enfants. Les enfants passent avant tout et cela peut aller très loin.
1. Origine de l’idée Jésus est mort à cause de nous
Pourquoi, lorsque nous disons Jésus est mort pour nous, certains interprètent : il est mort à cause de nous ? Cette idée ne vient pas de l’apôtre Paul en tout cas. L’apôtre annonce que nous sommes réconciliés avec Dieu. Pour Dieu nous sommes justes. Donc devant Dieu, nous ne sommes pas coupables.
Jésus n'a jamais parlé de péché originel
Nous pouvons même aller plus loin : nous sommes victimes. Nous naissons dans un monde marqué par le péché et, sur ce plan, notre destinée nous échappe. Avant même d’avoir la possibilité d’exercer notre self arbitre, nous sommes pris dans des événements auxquels nous ne pouvons rien et dont nous ne sommes absolument pas responsables.
Bien sûr il nous arrive parfois de faire des erreurs. Bien sûr il nous arrive parfois d’éviter des gestes de solidarités. Bien sûr il nous arrive parfois d’aborder l’autre avec davantage de colère que d’empathie. Cela signifie que nous ne sommes pas tout puissants, que nous ne sommes pas omniscients, que nous ne sommes pas invulnérables. Bref que nous ne sommes pas Dieu.
Non nous ne sommes pas Dieu mais selon la Bible quand il nous a créé il a vu que nous étions une très bonne chose. Dieu est content de nous avoir créé. Alors nous pouvons nous aussi être content d’exister même si nous ne sommes pas des Dieux. Nous ne sommes pas responsables de nos imperfections. Elles font partie de notre statut d’êtres humains normaux.
Mais voilà, le perfectionnisme spirituel habite profondément les protestants. Il les pousse à en faire toujours davantage. Et selon une tradition nous re-crucifions sans arrêt le christ par nos comportements. Dans son tableau de la crucifixion, Rembrandt met son portrait au milieu de l’œuvre. Manque de modestie ? Non, il veut simplement dire nous sommes tous coupables, nous participons toutes et tous à la mise à mort de Jésus.
Rembrandt, L’érection de la croix, huile sur toile, 1633, Munich, Alte Pinakothek. https://www.akg-images.fr/archive/Erection-de-la-Croix-2UMDHUDTJDXM.html.
Bref, mauvaise nouvelle : culpabilisation générale ! C’est bien plus facile à faire passer qu’une bonne nouvelle ! Nous sommes davantage réceptifs aux mauvaises nouvelles qu’aux bonnes. Donc remplaçons une nouvelle qui fait du bien (l’évangile) par une nouvelle qui fait du mal, et cela marche mieux.
2. Pourquoi Dieu aurait-il « sacrifié » son fils ?
Ceux qui suivent ce raisonnement disent Christ s’est sacrifié à cause nous, pas dans le sens courant des parents qui se sacrifient pour leur enfant, mais dans le sens d’un sacrifice brutal offert à Dieu pour évacuer une faute. Selon cette théorie, c’est Dieu lui-même qui sacrifie son fils pour réparer la faute des autres. Comme si Dieu avait été tellement vexé par l’indépendance d’Adam et Eve qu’il lui fallait absolument un acte d’une cruauté absolue pour se calmer !
Jésus n’a jamais parlé de péché originel. Et pour cause : l’idée de péché originel vient de St Augustin, 500 ans après la mort du Christ. Et puis surtout, le sacrifice, dans la Bible n’a rien à voir avec l’idée d’offrir à Dieu un cadeau pour réparer une faute. Dans la Bile, l’animal est cuisiné et ensuite tout le monde se le partage dans un grand festin. La traduction sacrifice ne rend pas le sens profond de ce rite. En réalité, il s’agissait d’un festin organisé en l’honneur de Dieu. J’analyse cela dans mon denier bouquin : La Bible des festins.
Donc 1. Jésus ne croyait pas au péché originel, il n’en a jamais parlé. 2. L’Ancien Testament ne connaît pas cette spiritualité sanguine consistant à tuer un animal pour réparer une faute. Mais environ mille ans après la mort de Jésus, Anselme de Cantorbéry cherche une explication logique à la mort de Jésus, le fils de Dieu. Pourquoi Dieu devait-il se faire homme ? Et comment est-il possible que Dieu laisse son fils mourir sur une croix ?
Il a donc trouvé cette théorie : faire mourir son fils était le seul moyen que Dieu a trouvé pour effacer la faute d’Adam et Eve ! Cette théorie s’est installé dans tout le christianisme occidental. Les protestants se sont contentés de la reprendre. Mais voilà : elle ne vient pas de la Bible ! Comme l’écrit Paul, Dieu est en Christ : il réconcilie le monde avec lui-même en ne chargeant pas les hommes de leurs fautes.
Si nous ne sommes pas coupables, alors pourquoi Dieu aurait-il dû envoyer son fils se sacrifier pour nous ? Tout simplement pour stimuler notre courage dans l’adversité et pour nous aider à lutter contre le mal.
Nous naissons dans un monde marqué par d’immenses tragédies pour lesquelles nous ne pouvons rien Il en est ainsi depuis bien longtemps avant notre naissance. Nous n’avons pas demandé à naître dans un tel monde. Plus encore : si nous avions eu à choisir notre vie, nous n’aurions sans doute pas décidé qu’elle se déroule comme nous la vivons. Mêmes les personnes heureuses auraient sans doute décidé de vivre autrement : sans les souffrances et les difficultés de notre vie dans ce monde.
Nous sommes toutes et tous, en quelque sorte, les uns les autres, les unes les autres, des compagnons, des compagnes de souffrance. En venant souffrir comme nous, mourir comme nous, Dieu devient tout simplement notre compagnon de vie. Il nous montre ainsi à quel point il nous aime, à quel point il se sent proche de nous. Il a donc dû sacrifier sa position de Dieu tout puissant pour prendre notre position d’humains impuissants. Dieu n’a pas sacrifié son fils, il a sacrifié sa position au-dessus de nous pour devenir comme nous et, par conséquent, être avec nous.
3. Dieu est venu vivre avec nous
Comme je l’ai dit, si nous avions pu créer nous-même notre vie, je fais le pari que nous aurions évité soigneusement tout ce qui nous peine et aussi tout ce qui peine les autres. Et nous aurions ajouté bien des choses valorisantes. Mais comme nul n’écrit lui-même le scénario de sa vie, nous traversons tous et toutes des difficultés et nous avons tous et toutes besoin de tolérance, d’amour du prochain, de bienveillance réciproque. Ces vertus nous aident à vivre, à combattre le malheur, à vivre heureux malgré les difficultés.
Dieu est notre père et il s'est sacrifié pour ses enfants
Et cette tolérance, cet amour du prochain, cette bienveillance réciproque Dieu est venu les vivres avec nous en Christ. Pourquoi ? D’abord pour nous montrer l’importance de ces vertus dans la lutte contre le mal. Ensuite pour annoncer : je suis avec vous dans la lutte contre le mal. Il est mort dans des souffrances pour devenir compagnons de tous ceux qui souffrent, en particulier les victimes des malheurs les plus graves.
Alors, je sais, les protestants aiment le vendredi saint. C’est logique. L’humanité vit des drames et la crucifixion est emblématique des souffrances du monde. Il ne faut pas bien sûr balayer tout cela d’un geste de la main. Mais il n’y a pas que les malheurs. La veille du vendredi saint, Jésus a mangé avec ses amis et il a institué la cène. Or les évangélistes concluent le récit d’institution de la cène en écrivant : Jésus et ses disciples chantent les chants de la fête ! Oui, la cène a été instituée pendant un repas de fête.
C’est ensuite que cela a mal tourné. Dans la nuit Jésus est arrêté et le lendemain à 15 h il meurt dans la souffrance. Mais le ministère de Jésus a duré trois années. Tout un temps pendant lequel Jésus a été apprécié. Les malades guéris l’on remercié, les convives des repas ont apprécié ses paraboles, les gens ont retenus ses petites phrases si perspicaces. Trois années de bonheurs, de succès, de belles rencontres. Bien des humains souffrent davantage qu’une journée ! Bien des humains vivent moins de bonheurs que Jésus.
Pourtant oui, nous pouvons dire que Christ s’est sacrifié. Car est Dieu dans notre monde, dans notre vie. Et Dieu est notre père. Ainsi il s’est sacrifié pour ses enfants. Non pas pour réparer leurs fautes mais pour les aider à vivre avec le mal, présent partout sur notre terre.
Mais encore
Dieu est notre compagnon dans la souffrance et de ce fait nous devenons les compagnons de sa renaissance ! C’est ce que dit Paul : le Christ est compagnon des humains dans la souffrance et les humains sont compagnons du Christ dans sa renaissance. Nous sommes à la foi dans le mal et dans le bien et Dieu est avec nous dans tout ce que nous vivons ici et maintenant, mais aussi pour toujours. L’horizon de l’existence de Jésus ce n’est pas le vendredi saint. C’est Pâques. Et Pâques c’est également notre horizon, même si parfois, nous devons vivre des vendredis saints.
Amen