Des sens au sens

Repas, cuisine et transcendance

Courte présentation de mon livre effectuée lors de la journée Livres à Vivres organisée à Crêt-Bérad le 3 mai 2025. Elle livre quelques éléments de mon étude. En particulier un fait important : le culte de l'Ancien Israël était centré sur un repas de fête. La traduction des termes hébreux par le mot sacrifice est incorrecte. Je termine l'étude avec un chapitre consacré à Jésus.

J’ai été pasteur quarante ans. Maintenant, j’utilise le temps de la retraite pour écrire sur la Bible en parlant aux mentalités spirituelles de notre époque. mon dernier ouvrage, La Bible des festins, la louange par le banquet parus aux éditions Cabédita (Bière) étudie les métaphores alimentaires. 

Pour commencer

L’alimentaire occupe une place centrale dans l’Écriture. Elle parle beaucoup plus souvent de repas que de péché, et c’est une raison pour laquelle j’ai écrit cet ouvrage. Il y en a une autre. Nous comprenons mal les métaphores alimentaires de la Bible et nous interprétons mal ses pratiques.

Métaphore alimentaire

J’ai collaboré à Pain Quotidien. Un jour, j’ai commenté un verset sur le pays du bonheur. La Bible l’appelle la terre promise. La Bible en parle comme le pays où coulent le lait et le miel. Dans la société biblique, le repas ordinaire était simple. Des galettes de farine et d’huile, un peu de miel pour donner du goût, du lait pour faire naître un petit pain au lait, la viennoiserie du temps. L'abondance de lait et de miel suggère la prospérité.

La graisse brûle pour Dieu, le reste est partagé entre toutes tous, et Il descend offrir sa bénédiction.

Chacun, chacune porte en soi une vision de la terre promise, du pays du bonheur. La Bible choisit une métaphore alimentaire pour en parler, et je n’ai pas hésité à dire que le monde de Dieu ressemble à un monde où l’on déguste de bonnes choses. J’ai conclu par une phrase : manger une pâtisserie le dimanche, c’est annoncer la parole de Dieu. J’ai reçu une lettre furieuse d’un protestant intransigeant. Il n’avait pas apprécié ma métaphore alimentaire m’a-t-il écrit.

Le sens des rites alimentaires bibliques

Avec le temps, j’ai approfondi mes recherches. Elles montrent l’ampleur des images alimentaires dans la Bible, bien au-delà de ce que j’avais vu d’abord. Le sacrifice en est un exemple. Notre langue traduit par ce mot plusieurs mots hébreux, mais aucun ne correspond à l’idée que nous nous en faisons. Nous pensons à un animal tué pour apaiser Dieu. La Bible, elle, parle d’un banquet dont Dieu devient l’invité d’honneur. La graisse brûle pour Dieu, le reste est partagé entre toutes tous, et Il descend offrir sa bénédiction.

J’ai aussi étudié les interdits alimentaires. Certains paraissent étranges mais ils renvoient à la mémoire nomade d’Israël. Le porc et le lapin ne vivent pas au milieu des tribus en marche. Ne pas s'en nourrir par la suite, une fois le peuple sédentarisé, rappelle le passé où la foi s’est formée. Les carnivores sont prohibés, seuls les animaux végétariens sont permis. La consommation de sang est interdite car il symbolise la vie, et ce thème me paraît essentiel pour penser aussi nos interdits actuels. Notre époque multiplie prescriptions et restrictions. Le nutriscore nous dit ce qu’il faut manger, le végétarisme naît de questions de santé ou d’éthique, rien de neuf sous le soleil.

La cuisine comme prière

La Bible demandait aussi de cuisiner ce qui était offert. Dans le temple imaginé par le prophète Ézéchiel : quatre cuisines immenses, des fours pour bouillir et griller la viande, un véritable art culinaire pour exprimer la spiritualité. Même la manne reçue au désert devait être préparée. Cuisinez ce qui est à cuire, faites bouillir ce qui est à bouillir, dit le texte.

La cuisine devient alors un geste théologique

La cuisine devient alors un geste théologique. Dieu offre les dons de la nature, l’homme les transforme, et, dans cette transformation, il se fait créateur à son tour. J’ai écrit un jour que prier, c’est causer avec Dieu. Mais Luther disait : chanter, c’est prier deux fois, les artistes orthodoxes disent : peindre une icône, c’est prier, et selon la Bible, cuisiner, c’est aussi prier.

Mais encore

Jésus lui-même a incarné cette ligne. Ses adversaires l’accusaient d’aimer trop boire et manger. Il ne valorisait pas le jeûne. Les évangiles disent qu’au désert les anges le servaient, donc ils apportaient à boire et à manger, sinon leur service n’avait aucun sens. Je comprends les pratiques du carême. Elles ne viennent pas de Jésus mais relèvent de la même logique spirituelle qui relie nourriture et transcendance.

La cène en est le sommet. Les évangiles racontent que Jésus et ses disciples chantèrent les chants de fête en la célébrant. La cène doit donc garder sa dimension festive. J’ai célébré ce repas quarante ans de manière austère, donc sans refléter l’esprit dans lequel Jésus a institué ce sacrement. Je crois cependant qu’il pardonne ma retenue liturgique, puisqu’il a fait l’éloge du pardon.